Commerce : un nouveau consensus à bâtir
Un accroissement de la productivité et des produits de qualité sont quelques-uns des avantages que les Normes internationales peuvent apporter aux échanges commerciaux mondiaux.
Vous rappelez-vous l’époque où notre seule préoccupation était le bogue de l’an 2000 ? Revenons quelque 20 ans en arrière. Alors que les secondes s’écoulaient en ce jour du 31 décembre 1999, partout dans le monde, de nombreuses entreprises – compagnies aériennes, banques, centrales électriques, etc. – retenaient leur souffle en raison des craintes suscitées par le « bogue de l’an 2000 ». Ces craintes étaient-elles fondées ? Pour celles et ceux d’entre vous qui l’ont peut-être oublié, ce qu’on appelait aussi le « bogue A2M » se référait à un problème de programmation informatique susceptible de provoquer des perturbations à grande échelle au début du nouveau millénaire lors du passage de l’année 1999 à l’an 2000.
Or il se trouve qu’il n’y a pas eu de bouleversements ou de perturbations de grande ampleur, ni d’effondrement mondial. Beaucoup d’entreprises, craignant le pire, avaient pris des mesures d’adaptation de leurs systèmes afin de limiter autant que possible les dommages potentiels, de sorte que les échanges commerciaux ont pu se poursuivre et que les marchés internationaux ne se sont pas effondrés. En effet, dans les premiers mois du nouveau millénaire, il s’est avéré non seulement que les perspectives économiques restaient favorables, mais qu’en outre, selon le Fonds monétaire international, la croissance du PIB devait se renforcer dans toutes les principales régions du globe, l’économie américaine jouant un rôle moteur à cet égard.
Le début de l’ère numérique
À cette époque, l’Internet en était encore à ses débuts et l’ère numérique n’était qu’une perspective lointaine. Vingt ans plus tard, alors que notre monde toujours plus interconnecté et mondialisé s’est résolument engagé dans la « Quatrième révolution industrielle » et s’est approprié ses nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle, la robotique et l’informatique quantique, un autre bogue – plus rudimentaire sur le plan technologique et auquel nous n’étions pas préparés – a engendré des perturbations, des inquiétudes et des incertitudes à grande échelle. La pandémie de COVID-19 a fait plus de cinq millions de morts et provoqué un chômage massif, et les nombreuses mesures de confinement mises en œuvre au plan national pour ralentir la propagation du virus ont freiné les échanges internationaux.
Selon le bureau d’études Capital Economics établi à Londres, les perturbations causées par la COVID-19 devraient mettre un frein à la croissance de l’économie mondiale pour la première fois depuis 2009. Cette sombre prévision est confirmée par la Banque mondiale, selon laquelle l’économie mondiale va connaître sa pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Selon la Banque mondiale, les pays fortement tributaires des échanges mondiaux, du tourisme, des exportations de matières premières et du financement extérieur où la pandémie a eu une incidence majeure sont les plus touchés. Cela concerne en particulier les marchés émergents et les pays en développement. Et la pandémie fait payer un lourd tribut aux pays dotés de systèmes de santé défaillants.
Bien que les estimations tirées d’un Global Trade Update de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) fassent état de quelques « résultats positifs ici et là » pour ce qui est de la reprise économique, notamment en Chine, le Secrétaire général de la CNUCED, Mukhisa Kituyi, prévient que « l’incertitude quant à l’évolution de la pandémie aggravera encore les perspectives commerciales dans les mois à venir ». Selon la CNUCED, une baisse de 5 % du commerce mondial au troisième trimestre 2020 par rapport à la même période en 2019 constitue une amélioration par rapport à la chute de 19 % enregistrée au deuxième trimestre, qui néanmoins ne suffit pas à compenser les pertes subies.
L’incertitude quant à l’évolution de la pandémie aggravera encore les perspectives commerciales.
Perspectives commerciales à l’échelle du globe
Les perspectives de croissance du commerce mondial sont loin d’être favorables pour les pays en développement qui dépendent des possibilités d’exportation. Dans un rapport sur la COVID-19 et le commerce international, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) déclare : « Dans une situation de crise sanitaire mondiale sans précédent, le commerce est indispensable pour sauver des vies et des moyens d’existence ; et la coopération internationale est nécessaire pour maintenir le flux des échanges commerciaux ». Dans ses Perspectives économiques, Rapport intermédiaire, de décembre 2021, l’OCDE attire l’attention sur les risques et les incertitudes qui peuvent compromettre la reprise économique mondiale et souligne que « le rétablissement de la confiance sera crucial pour la réussite de la reprise économique ».
La pandémie est survenue dans un contexte de tensions commerciales accrues entre certaines des principales puissances économiques de la planète, ce qui a encore aggravé les incertitudes concernant le commerce mondial. Comme le note la Banque centrale européenne dans son Bulletin économique, « le ralentissement de l’investissement et des échanges commerciaux au niveau mondial est intervenu dans un contexte d’accroissement des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, d’atténuation de la demande en Chine, de tensions (géo-)politiques, de Brexit et de tensions spécifiques dans plusieurs économies émergentes, l’incertitude croissante amplifiant l’effet négatif ».
En cette période de grande incertitude, il est cependant certain – selon un article publié par le Forum économique mondial (WEF) en collaboration avec l’institut de réflexion Chatham House – que « la politique commerciale mondiale ne pourra plus se fonder sur le consensus qui prévalait ces dernières décennies ». Comme l’écrit Megan Greene, titulaire d’une bourse en économie internationale de la Dame DeAnne Julius Senior Academy à Chatham House, « tant que l’incertitude persiste, ce qui sera le cas pendant quelques années au moins, les questions touchant le commerce continueront de représenter un risque pour l’économie mondiale ».
Coopération et collaboration
La crise sanitaire a également fait ressortir la nécessité d’une coopération et d’une collaboration au niveau mondial. Il ne sera pas facile de dégager un nouveau consensus, mais, s’agissant du commerce, les Normes internationales ont un rôle clé à jouer. Ben Shepherd, Directeur de Developing Trade Consultants et auteur d’une étude sur le sujet, examine la relation entre normes et commerce. Il souligne qu’en cas d’adoption d’une Norme internationale par un grand nombre de pays, « les exportateurs ont accès à un marché potentiel plus vaste et peuvent ainsi réaliser des économies d’échelle plus importantes ».
Ben Shepherd poursuit : « Même lorsqu’une norme relative aux marchés d’importation a, au départ, une incidence négative sur les coûts, les entreprises et les pouvoirs publics ont tendance, avec le temps, à renforcer leur capacité de s’adapter et de prospérer dans le nouvel environnement, la norme pouvant alors servir de catalyseur pour l’amélioration de la productivité et de la qualité. » D’après lui, lorsque les normes relatives aux marchés d’importation sont harmonisées avec des Normes internationales telles que celles de l’ISO ou de l’IEC, « l’effet négatif sur les exportations des pays en développement est considérablement atténué, voire inversé ».
Selon la Commission européenne, « la normalisation est un facteur clé de la politique commerciale. Elle contribue à la levée des obstacles techniques, améliore l’accès au marché, facilite le commerce mondial et renforce la coopération internationale. L’application de normes peut aider le secteur industriel et les petites et moyennes entreprises de l’UE à accéder aux marchés mondiaux. » Les normes aident aussi les fabricants à réduire les coûts, à anticiper les exigences techniques et à gagner en efficacité en termes de production et d’innovation.
Le secteur aéronautique, par exemple, a été gravement touché par la pandémie, avec un nombre de passagers à son plus bas niveau jamais atteint. Mais le relèvement du secteur s’accompagnera d’une forte demande en faveur d’une aviation plus durable. Notamment, le secteur des systèmes d’aéronef sans pilote (UAS) semble promis à un bel avenir avec l’aide de normes telles que celles des séries ISO 21384 et ISO 23629. Selon Robert Garbett, Directeur général du Drone Major Group, il n’est pas possible de répondre à des questions telles que la sûreté, la sécurité et la protection de la vie privée « sans l’élaboration de normes de sécurité et de qualité solides, sur la base desquelles l’industrie pourra se développer en toute sérénité ».
Un état d’esprit favorable à la technologie
Un article de blog publié par le WEF montre comment la numérisation transforme le commerce international. Il donne un exemple de la manière dont les UAS utilisés pour l’inspection sous-marine et la maintenance des infrastructures portuaires indiquent déjà comment « le renforcement d’un état d’esprit favorable à la technologie par suite de la crise pourrait se muer en une occasion unique de faciliter les échanges commerciaux ».
Comme le disent Jesse Lin, spécialiste de projet dans le domaine du commerce numérique au WEF, et Christian Lanng, cofondateur et Président-directeur général de Tradeshift, un réseau de commerce électronique interentreprises sur le cloud, dans un autre blog sur les chaînes d’approvisionnement mondiales et la COVID-19 : « La crise actuelle est l’occasion de remettre à plat un système fondé sur des processus dépassés. La création de chaînes d’approvisionnement intelligentes et souples est la clé pour construire un réseau mondial de commerce et d’investissement capable de résister aux tempêtes futures. »
Outre la COVID-19, le manque d’harmonisation de la législation technique a été un autre facteur de ralentissement de la croissance. Là encore, les Normes internationales peuvent jouer un rôle majeur en permettant de lever les obstacles techniques. Chaque pays se développe à son propre rythme, et les normes peuvent contribuer à créer des conditions plus équitables et à donner aux pays en développement de meilleures chances de faire progresser le commerce mondial. Issues d’un consensus planétaire, elles sont tout à fait propres à favoriser la compatibilité des produits et services et à faciliter l’accès à de nouveaux marchés.
Une stratégie qui arrive à point nommé
Les Normes internationales n’ont jamais été mieux adaptées à la recherche d’un nouveau consensus, à la réduction de l’incertitude et au rétablissement de la confiance dont les chaînes d’approvisionnement mondiales ont tant besoin. En matière de commerce, la rapidité est primordiale, en particulier pour les pays en développement souhaitant accéder aux marchés mondiaux. Lorsque les marchandises et les facteurs de production sont sensibles au facteur temps, les Normes internationales sur le transport des marchandises d’un pays à l’autre peuvent contribuer à éliminer les retards coûteux. Tout cela concorde avec les objectifs et les priorités de la Stratégie de l’ISO 2030, qui vient à point nommé et qui vise à garantir que les normes – et les Normes internationales en particulier – joueront un rôle essentiel dans le développement de notre économie et l’accroissement des échanges commerciaux.
Le bon côté de l’incertitude réside dans la possibilité d’un changement d’envergure, et les organisations et les entreprises qui sont suffisamment souples et qui sont prêtes à s’adapter au changement seront mieux à même d’atteindre leurs objectifs. Comme l’a fait remarquer l’ancien Président de l’ISO, Eddy Njoroge, lors d’un récent entretien : « Il n’y a jamais eu de moment plus déterminant pour que les Normes internationales fondées sur le consensus et induites par le marché répondent aux défis mondiaux auxquels est confronté un système commercial multilatéral. L’incertitude économique et commerciale, l’évolution des attentes au sein de la société et l’urgence en matière de durabilité et de transformation numérique sont quelques-uns des facteurs externes qui orientent notre économie et constituent la base de notre nouvelle Stratégie de l’ISO 2030. Des normes appropriées permettront cependant de relever ces multiples défis aux niveaux mondial et national. »
L’ISO définit ainsi sa mission : « Au travers de nos membres et de leurs parties prenantes, nous rassemblons les individus pour convenir de Normes internationales répondant aux enjeux mondiaux. Les normes ISO soutiennent le commerce mondial, favorisent une croissance économique ouverte à tous et équitable, encouragent l’innovation et améliorent la santé et la sécurité pour bâtir un avenir durable. » La Stratégie de l’ISO 2030 s’inscrit dans la continuité du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, qui considère le commerce international comme un facteur de croissance économique inclusive et de réduction de la pauvreté, et comme un moyen important d’atteindre les Objectifs de développement durable (ODD).
Selon Mukhisa Kituyi, de la CNUCED, « le fait d’assurer cette interaction bénéfique du commerce et de l’investissement facilite la transformation structurelle de l’économie, crée des emplois et renforce les compétences en soutien direct de l’ODD 8 (Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous), de l’ODD 9 (Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation) et de l’ODD 10 (Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre). De plus, un système commercial multilatéral universel, réglementé, ouvert, non discriminatoire et équitable, qui définisse le cadre institutionnel d’un commerce mondial soutenu, joue un rôle majeur parmi les partenariats mondiaux pour un développement durable dont la revitalisation est préconisée dans l’ODD 17 (Renforcer les moyens de mettre en œuvre le Partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser). »
Avec des normes clés telles que celles relatives à la sûreté de la chaîne d’approvisionnement (ISO 28000), au management du risque (ISO 31000) et à la gestion d’actifs (ISO 55001), l’ISO a déjà pris des mesures importantes afin de contribuer à réduire la pauvreté et à rendre la vie des gens plus facile, plus sûre et meilleure. Malgré les changements résultant de l’incertitude économique et commerciale – qui peuvent influer sur la demande de Normes internationales et sur leur pertinence –, l’ISO dispose, avec sa Stratégie 2030, d’un cadre et d’un schéma directeur lui permettant de relever ces défis.