ISO 20022 - La migration de la monnaie
Le système financier mondial connaît actuellement la plus grande transformation de son histoire récente, alors que de nouvelles infrastructures de marché, telles que les plateformes de paiement instantané, sont mises en place dans le monde entier. Cette évolution est favorisée par ISO 20022, une Norme internationale de messagerie qui devrait changer la donne en matière de paiements.
La circulation des biens et des personnes est un aspect essentiel du commerce mondial et constitue l’un des domaines de prédilection des Normes internationales. Depuis les conteneurs où sont placées les marchandises jusqu’aux systèmes électroniques servant à identifier les contenus et à faciliter le dédouanement, les normes atténuent considérablement les maux de tête liés au transport des marchandises. Mais l’autre membre de l’équation économique consiste à faire circuler l’argent, et cela soulève une série de problèmes totalement différents. Là encore, les normes ISO apportent une solution.
Dans le présent numéro d’ISOfocus consacré aux questions financières, nous nous intéressons aux nouvelles technologies, y compris les cryptomonnaies, qui permettent d’éviter certains des problèmes liés au transfert de monnaies fiduciaires conventionnelles. Mais ces technologies ne conviennent pas à tout le monde et, comme il est indiqué ailleurs dans ce numéro, elles présentent leurs propres difficultés.
La confiance est le facteur essentiel
Pendant des siècles, les gens se sont envoyé de l’argent et d’autres objets de valeur sur de grandes distances, et même par-delà les frontières. Les tout premiers systèmes ont été mis en place le long de la Route de la soie il y a plus de mille ans et étaient fondés sur un réseau de personnes qui se connaissaient, au moins de réputation.
En bref, quiconque, en un lieu donné, voulait envoyer des objets de valeur (des pièces de monnaie, par exemple) à quelqu’un d’autre se trouvant en un lieu éloigné s’adressait à un intermédiaire dans sa propre région et lui indiquait quelle somme d’argent il souhaitait envoyer, à qui et à quel endroit. La somme était ensuite remise à cet agent de transfert, qui prenait alors contact avec son réseau de courtiers et de passeurs. Très souvent, toutes les parties intéressées finissaient par former une chaîne établie au moyen de rencontres et de billets manuscrits et qui se terminait par la personne censée recevoir le paiement.
Chaque étape de ce processus reposait sur la confiance, laquelle était fondée sur une réputation établie et rétribuée par une commission. Ce type de système, bien connu sous le nom de hawala dans le monde islamique, se perpétue de nos jours. Les économistes pourraient qualifier le hawala de système « informel » de transfert de valeurs, mais cette dénomination peut être trompeuse. Le hawala n’utilise certes pas le même genre de structures d’entreprise et d’instruments financiers que les systèmes occidentaux, mais il est très bien organisé, a résisté à l’épreuve du temps, reste digne de confiance et est toujours largement employé. En fait, des millions de travailleurs migrants ont recours au hawala pour envoyer de l’argent à leur famille, en particulier dans les pays où l’infrastructure bancaire est peu développée ou a été détruite par une catastrophe.
L’avènement des transferts télégraphiques
C’est seulement à la fin du XVIIIe siècle qu’un système de transfert d’argent a été créé dans le cadre du modèle bancaire occidental. Cela a commencé par des mandats, qui étaient en fait des billets à ordre susceptibles d’être échangés et remboursés entre les parties concernées. Le courtier qui faisait office d’intermédiaire était généralement une institution plutôt qu’un réseau de personnes.
Ce système a été mis en place au Royaume-Uni où, ultérieurement, les bureaux de poste ont joué le rôle d’émetteur et de courtier pour ce mode de transaction. C’est leur participation, liée à l’évolution du système, qui est à l’origine du nom de « mandat postal » donné à ce type de transfert. Comme le hawala, le système est encore en vigueur aujourd’hui et reste irremplaçable pour celles et ceux qui n’ont pas de compte bancaire. Et de la même façon, la confiance y joue un rôle primordial. Toutes les parties doivent être convaincues que les instructions données seront parfaitement comprises et convenablement transmises et que le paiement prévu aura effectivement lieu.
Malgré d’importantes différences de fonctionnement entre les systèmes, ces mêmes principes sont la clef du succès de tout système de transfert d’argent, comme j’ai pu le constater lors de mon entretien avec Karin Deridder, Responsable de l’élaboration des normes chez SWIFT, un organisme qui contribue au bon déroulement de plus de dix milliards d’opérations financières chaque année.
L’essor de SWIFT
Mme Deridder a commencé par me donner quelques explications indispensables. SWIFT, qui est l’acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, est un organisme d’envergure mondiale établi en Belgique, qui a mis en place un réseau permettant aux institutions financières du monde entier d’envoyer et de recevoir des informations sur leurs opérations d’une manière sûre, normalisée et fiable. SWIFT a vu le jour lorsque les systèmes existants tels que les mandats et, plus tard, les virements télégraphiques n’arrivaient tout simplement plus à suivre le rythme des échanges financiers à l’époque postindustrielle.
Interrogée sur le rôle des normes, Mme Deridder dit clairement que rien, tout simplement, ne pourrait se faire sans elles. « Depuis leur création dans les années 70, les normes ont été une composante essentielle du mode de fonctionnement de SWIFT. » À ce titre, SWIFT entretient des relations de travail étroites avec l’ISO, puisqu’elle fait office d’autorité d’enregistrement (AE) [1] pour ISO 13616 (qui porte sur le numéro de compte bancaire international [IBAN]), ISO 10383 (qui définit les codes pour les échanges et l’identification des marchés [MIC]), ISO 15022 (qui traite des valeurs mobilières) et ISO 20022 (qui définit la façon dont les messages financiers sont structurés).
La monnaie n’est pas seule à migrer
SWIFT, à l’instar de centaines d’autres organismes financiers, comprend bien que la prévisibilité et la cohérence assurées par les normes sont indispensables à la sécurité et à la fiabilité des opérations. Compte tenu de l’augmentation du volume et de la complexité de ces opérations, elle veille, en concertation étroite avec l’ISO, à ce que les normes restent conformes aux pratiques du marché et aux nouvelles exigences commerciales, y compris celles d’ordre réglementaire. ISOfocus s’intéresse à l’une des normes financières les plus médiatisées, la série ISO 20022, qui définit un schéma universel de messages pour l’industrie financière.
Pour les spécialistes du secteur, « migration » est le terme le plus couramment associé à ISO 20022. Cependant, ce n’est pas la notion quelque peu fantaisiste de transfert d’argent d’un endroit à un autre, mais plutôt le processus de passage des systèmes de la norme MT (Message Type) propriétaire de SWIFT à ISO 20022 pour les paiements transfrontaliers et la notification ainsi que la mise en œuvre de procédures qui tireront profit de la gamme complète des capacités offertes par ISO 20022.
C’est une évolution considérable, mais Mme Deridder me rassure en confirmant qu’elle est gérée avec soin. « SWIFT s’engage activement, auprès de ses clients et des acteurs du secteur, à utiliser le langage et le modèle communs préconisés par ISO 20022, qui assureront une cohérence de bout en bout tant dans les écosystèmes traditionnels que dans les nouveaux écosystèmes. »
Doit-on changer ce qui fonctionne encore ?
Ce sage précepte m’a été inculqué dès l’enfance alors que je me plaisais à démonter les appareils électroménagers, les vélos et les meubles qui me semblaient avoir besoin d’un contrôle. Cela m’a permis de freiner mes velléités de bricolage et de limiter le nombre de « projets » que j’envisage à tout moment de mener à bien. J’ai donc posé la question à Mme Deridder : « Si un système fonctionne, pourquoi le changer, surtout si l’on tient compte de l’investissement substantiel et de la planification nécessaires (pour beaucoup d’organismes, la migration est un projet qui s’échelonne sur plusieurs années) ? »
Voici sa réponse : « La norme ISO 20022 facilite la création de nouveaux services et a simplifié le traitement de bout en bout. Elle permettra de transmettre sous forme électronique des données plus riches, mieux structurées et plus détaillées dans des domaines ayant trait aux échanges commerciaux tels que les paiements, les valeurs mobilières, le marché des devises, et même vos cartes de crédit. »
Mme Deridder souligne que la migration a pour effet non seulement de simplifier le processus, mais aussi d’améliorer la « qualité » des données présentes dans ces messages électroniques. « Par exemple, dans le cas des paiements, cela signifie plus de transparence et plus d’information sur les transferts de fonds pour vos clients et, par voie de conséquence, un meilleur service à la clientèle. » Je commence à comprendre l’intérêt de cette évolution ; en tant que client, j’éprouve une grande satisfaction car des données de qualité sont synonymes de paiements de qualité.
Soulignant les avantages supplémentaires qu’apporte la migration à ceux qui utilisent déjà les systèmes SWIFT, Mme Deridder déclare qu’ISO 20022 promet « un suivi plus étroit du déroulement, une transparence accrue et une vitesse supérieure ». Parmi les autres avantages opérationnels, on peut mentionner l’amélioration de l’analyse des données, la réduction des interventions manuelles, la précision accrue des processus de mise en conformité, l’augmentation de la résilience et l’amélioration des mesures de prévention des fraudes.
Suivre le mouvement
Après l’adoption d’ISO 20022 par les systèmes de paiement dans les principales monnaies de réserve, les milieux financiers ont décidé, par voie de consensus, de passer à la Norme internationale pour les paiements « d’institution financière à institution financière » et la communication d’information connexe.
SWIFT a mis sur pied un programme spécialement destiné à faciliter cette adoption à l’échelle de la communauté financière. Comme le précise Mme Deridder, « le programme ISO 20022 mettra en place un nouveau service de messagerie et présentera des mesures de coexistence visant à assurer des services de migration, de formation et d’adoption à cet effet ». Un calendrier réaliste a été établi, avec de nouveaux messages ISO 20022 conformes aux pratiques commerciales en vigueur, qui seront mis en service sur la plateforme SWIFT à compter de novembre 2021. Après une période de coexistence de quatre ans, les messages correspondants dans le format précédent (connu comme le format SWIFT MT) ne seront plus pris en charge par la plateforme SWIFT.
Pour l’instant, l’adoption d’ISO 20022 sur la plateforme SWIFT ne s’applique qu’aux instructions de paiement et aux messages de notification faisant l’objet d’échanges bilatéraux entre institutions financières. Toutefois, ISO 20022 offre clairement des possibilités d’application à beaucoup plus grande échelle ; j’ai donc fait remarquer à Mme Deridder que d’autres secteurs se demanderont sûrement s’ils doivent aussi migrer. « D’autres opérations telles que les paiements des entreprises et la gestion de trésorerie, la post-négociation de valeurs mobilières, la compensation et la liquidation de titres, les opérations des entreprises, les opérations de change, la trésorerie et le financement des opérations commerciales ne sont actuellement pas concernées », me confirme-t-elle.
Des avantages pour la clientèle au-delà de la migration
La norme ISO 20022 est un langage mondial de plus en plus répandu pour la messagerie de paiements. Déjà utilisée par les systèmes de paiement dans plus de 70 pays, elle sera dans les années à venir la norme de facto pour les systèmes de paiement de gros montants dans toutes les monnaies de réserve, assurant 80 % du volume mondial et 87 % de la valeur des opérations dans le monde.
En créant un langage et un modèle communs pour les données relatives aux paiements, ISO 20022 améliore très nettement la qualité des données dans l’ensemble de l’écosystème des paiements. Des données plus détaillées, bien structurées et riches de sens permettront d’offrir de nouveaux services aux clients tout en améliorant la mise en conformité et l’efficacité. Il s’agit de renforcer les principes fondamentaux et d’assurer l’avenir de l’activité commerciale. Comme le dit Mme Deridder pour conclure : « ISO 20022 est suffisamment souple pour répondre aux besoins d’aujourd’hui et de demain. »
- Une autorité d’enregistrement (AE) est un organisme indépendant chargé de tenir à jour les principaux éléments des Normes internationales. On trouvera de plus amples renseignements sur ces organismes et les normes qu’ils tiennent à jour en cherchant « autorité d’enregistrement » sur le site de l’ISO (ISO.org).